Les acteurs clés des nouveaux moyens de paiement veulent limiter drastiquement le recours aux pièces et billets. Mais les Français y sont attachés! par Patrick Lagarde, PDG de Brink’s France dans le journal La Tribune du 18 juin 2015
A l’heure où Internet et l’économie collaborative ont remis au goût du jour le principe de troc de marchandises et de services, l’aspect physique de l’argent n’a plus la cote et les espèces sont tenues responsables de bien des maux. Loin de rejeter la dématérialisation, il convient de ne pas sombrer dans le sectarisme de la « cashless society » que l’on tente d’imposer aux Français. Le constat est simple : les Français plébiscitent l’argent liquide. 86% d’entre eux ne souhaitent pas que le cash disparaisse au profit d’autres modes de paiement. Pourtant, la France est en queue de peloton des pays européens pour l’utilisation du cash (moins de 15%). Pourquoi alors chercher à limiter encore l’usage des espèces auxquelles ils sont tant attachés ? La lutte contre le terrorisme ? Contre la fraude fiscale ? La marche forcée de la modernité face à un moyen de paiement jugé archaïque ?
LIMITER LES BILLETS AU NOM DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME?
La lutte contre le terrorisme ne justifie pas la limitation des paiements en liquide. Le terrorisme passe déjà outre toutes les règles établies dans notre société. Pourquoi ériger des obstacles dont on sait qu’ils n’arrêteront en rien la marche des criminels ? Quant à la fraude fiscale, de nombreux pays européens, comme l’Allemagne, l’Autriche ou l’Islande, n’ont pas fixé de limites aux moyens de paiement en espèces et ont choisi de renforcer leur système répressif, en accroissant les moyens humains de leurs magistrats et de leurs services de police.
D’ailleurs, les Français ne croient pas en ces arguments, puisque 96% d’entre eux n’associent pas le cash au blanchiment, à l’évasion fiscale ou à l’argent sale. La justification de cet acharnement prend en réalité racine dans la volonté des acteurs des nouveaux moyens de paiement de se développer coûte que coûte, quitte à passer outre les préférences des Français. Pourquoi le Gouvernement appuie-t-il cette démarche ? S’agit-il uniquement de montrer un visage moderne ou de favoriser l’arrivée massive de nouveaux acteurs sur le marché des paiements ? Les pouvoirs publics ont-ils bien mesuré toutes les conséquences ?
SOLIDE ET PÉRENNE PARCE QU’ARCHAÏQUE
A la tête d’une entreprise leader de la gestion des espèces en France, il ne fait aucun doute pour moi que le cash a encore un brillant avenir devant lui. C’est parce que le cash est archaïque que ce moyen de paiement est solide et pérenne. Contrairement à la monnaie scripturale ou électronique, la monnaie fiduciaire répond à la définition même d’un bien public. Accessible à tous, elle est perçue de manière distincte par chaque acteur de la chaîne de paiement et crée du lien social. Ce sont les espèces qui sont le poumon des commerces de proximité. Près de 4 Français sur 10 changeraient de commerçant si celui-ci n’acceptait plus les espèces et 91% préfèrent l’argent liquide pour leurs petits achats du quotidien. Lorsque le gouvernement parle d’encourager le paiement en carte bancaire ou le paiement sans contact pour les plus petites sommes, il s’attaque au modèle qui fait vivre nos commerces de petite taille et entretient l’exclusion sociale des moins favorisés qui n’auront jamais accès à ces moyens de paiement. Souvenons-nous de l’échec de Monéo et écoutons les consommateurs !
LES FAILLES DANS LES DISPOSITIFS DE PAIEMENT SANS CONTACT
Les espèces sont aussi bien moins exposées aux risques de fraude que les autres moyens de paiement. En 2014, des chercheurs britanniques ont mis en évidence une faille dans le dispositif NFC, dont le gouvernement fait aujourd’hui la promotion, à grand coup d’annonces dans les médias. Cette faille permet à des pirates de dérober jusqu’à 1 million d’euros avec un équipement assez simple et bien sûr sans contact avec la carte! Voilà une technologie pratique ! Dans ces conditions, difficile d’accorder une confiance aveugle au tout-dématérialisé. Enfin, sans pour autant verser dans l’alarmisme, gardons à l’esprit que l’argent liquide est suffisamment robuste pour assurer la continuité de l’économie en cas de catastrophe majeure. Rappelons-nous qu’il a fallu que l’armée américaine apporte du cash aux sinistres de l’ouragan Katrina pour relancer l’économie alors que plus aucun autre moyen de paiement n’était opérant.
REPENSER LES OFFRES ET SOLUTIONS
Si le cash a un bel avenir devant lui, c’est surtout parce qu’il répond à un besoin des clients. Il aura toujours une longueur d’avance, car c’est le seul moyen de paiement immédiatement libératoire et totalement gratuit pour le consommateur. Pour autant, jamais je ne tomberai dans l’évangélisme fiduciaire – les moyens de paiement ont vocation à être complémentaires – soutenons la diversité de ces derniers, parmi lesquels le cash a pleinement sa place.
Pour que les espèces restent compétitives, les professionnels de la filière doivent repenser leurs offres et leurs solutions. Si nous avons récemment changé de business model et sommes devenus un établissement de paiement, c’est parce que nous nous devions d’avoir un temps d’avance sur les tendances transactionnelles. La modernisation des espèces est en marche. Si le cash demeure un bien matériel, notre métier est d’améliorer sa fluidité, sa sécurité et l’efficience de son usage. Pour ce faire, nous dématérialisons tous les jours des millions de pièces et de billets pour déboucler des milliers de paiements sans pour autant mouvementer la matière. Alors, les espèces sont-elles si figées et si archaïques qu’on voudrait nous le faire croire ?